La petite fille a grandi.
Elle a grandi, son corps s’est transformé, elle a eu ses premières règles.
Sa mère a voulu fêter l’événement, et a fait une tarte à l’orange.
Elle l’avait posée sur un fauteuil dans la salle à manger.
Après avoir mis la table, l’adolescente, s’est assise……………. Sur la tarte.
La fête fut transformée en drame.
Qu’à cela ne tienne, elle était fière d’être devenue une femme, enfin presque, de s’approcher de l’âge ou elle pourrait partir.
Elle mangeait beaucoup pour combler son vide.
Mais toujours en silence, sans rien dire.
La nuit elle descendait, posant un à un ses pieds sur les marches, en faisant
attention, elle savait exactement laquelle allait grincer. Et l’évitait
soigneusement.
Elle aimait particulièrement les provisions de chocolat de Pâques, il y en avait des saladiers remplis dans l’arrière cuisine.
Chaque nuit, en silence elle allait en prendre une poignée.
Jusqu’au jour dit, les saladiers furent pris pour être mis sur les tables, mais
ils étaient vides.
Elle ne dit rien, après tout, on l’avait assez forcée au silence, et sa mère criait suffisamment pour qu’elle la laisse s’égosiller.
Un soir, sa mère lui dit l’insulte suprême : « Tu es dure comme ton père, tu as ses yeux froids »
Elle ne savait pas si cela était grave ou pas, mais décida de s’exprimer en silence. Elle écrivit une longue lettre à l’attention de sa mère, expliquant les lois de la génétique, et qu’il était donc inévitable qu’elle ait des points communs avec son père.
Le père le soir tomba sur la missive, il fut fort mécontent, mais surtout vis-à-vis de sa femme.
En silence elle écouta le couple se disputer, en silence, elle sourit.
Un jour en vacances, elle parla à table. Son père lui dit quelque chose comme un reproche, elle ouvrit la bouche et lui dit simplement :
« Oublie moi. »
Et séance tenante, elle fut consignée à la cuisine de l’hôtel, entre les cuisinières, et se retrouva comblée de gâteaux délicieux à déguster.
Sa répartie avait bien fait rire ces dames.
Comme elle se taisait toujours, on ne la voyait pas arriver.
Elle sortit de sa chambre un soir pour aller aux toilettes, et se retrouva face
à face avec son père totalement nu.
Elle fut ennuyée, mais ne le resta pas longtemps, la paire de claques magistrale la fit rentrer vite dans sa chambre.
Elle ne pu s’empêcher de trouver ça ridicule, il n’y avait pas mort d’homme, et il n’avait qu’à ne pas se balader à poil.
Vint son premier flirt.
Le premier baiser, sur le trottoir, assez près de la maison. Elle fermait les yeux, et trouvait ça délicieux.
Mais elle ignorait que sa mère furieuse de son retard la regardait devant le pas de la porte de la maison.
Mais le baiser se prolongea, et dura.
Elle ne se rendit compte de rien.
Rentrée au domicile familial, tout le monde était à table, sa mère lui demande d’où elle venait, elle répondit du cinéma, et brandit son ticket.
Elle s’en tira à bon compte, mais un de ses frères lui dit plus tard la vérité, et qu’il avait eu beaucoup de mal à ne pas rire, tant elle était rouge de confusion en entrant dans la cuisine.
Mais ce beau jeune homme avait la malchance d’être ouvrier.
Interdit de fréquenter ce milieu.
Elle fut consignée et interdite de sortie.
Elle eut ensuite son premier amour, l’histoire dura deux belles années.
Heureusement qu’elle avait son solex pour s’échapper, et heureusement qu’il était de bonne famille.
Cela n’empêchait pas les bêtises. Mais elle avait appris à se taire.
Un jour son amour apprit qu’il ne pouvait pas s’engager dans les parachutistes, car il avait des tâches noires aux poumons.
Elle n’eut plus le droit de le voir, parce que chez cette mère, il fallait en plus être de santé parfaite, elle aurait pu écrire un manifeste de la race pure avec Hitler.
Bien sûr elle désobéit, mais la clandestinité, fit mourir cet amour de jeunesse.
Puis vint le jour merveilleux où elle prit le train pour
Paris la première fois.
Elle commençait ses études.
Sa mère pleurait sur le quai.
Elle elle était bien, elle partait. Et trouvait ces larmes ridicules et déplacées.
Quel chagrin pouvait les justifier ? Elle ne comprenait pas.
Vint l’âge où elle voulut une contraception. En parler fut un véritable calvaire.
La mère, dignement, droite sur le fauteuil prit un ton de victime offensée et dit.
« Et bien s’il le faut, nous irons voir un gynécologue pour que tu l’aies ta pilule. »
Elle renonça, et se débrouilla seule, une fois de plus.
C'est-à-dire qu’elle se dit qu’elle était mauvaise, et renonça pour un temps à sa vie de femme.
Alors, elle rencontra un homme, marginal, rebelle, partisan d’une secte, macrobiotique, MAIS DE BONNE FAMILLE ;
Elle le choisit comme mari.
Forcément, il représentait tout ce que sa mère détestait.
Ce fut sa revanche.
Sa première.
Mais elle ignorait, que son choix n’était pas justifié par l’amour, et que son
mariage ne pourrait durer.
Elle éleva pratiquement seule ses enfants, seule ? Elle avait l’habitude.
A ce jour, elle ne regrette pas, et ne l’a jamais regretté, elle a trois enfants magnifiques.
Vint un deuxième homme, elle fut séduite, une fois de plus, il incarnait sa rébellion. La moto, un milieu non conforme.
Elle courut à nouveau à sa perte.
Mais se releva seule. Une fois de plus. Pour ses enfants.
Sa situation est à ce jour difficile, voire même inextricable.
Mais elle ne veut plus se taire, elle sent qu’elle va dire les choses, sans trop savoir où cela va la mener.
Elle sait qu’elle est toujours la honte de sa mère.
Mais cela lui est égal depuis longtemps.
Elle ne se préoccupe plus de ce que pense cette femme d’elle. Elle sait qu’il ne le faut plus, elle ne veut plus que ce poison qu’est la haine dicte sa vie, et la mène à nouveau à un combat sans victoire.
Il est grand temps qu’elle agisse pour elle et non par vengeance contre son passé.
Car cela fait 50 ans qu’elle a oublié de vivre pour elle.
Personne ne lui a jamais appris.
Alors, elle va tout recommencer, mais cette fois ci, sans être seule.
Elle a découvert qu’elle pouvait appeler à l’aide, et qu’on pouvait l’écouter.
Elle se sent submergée par cette immensité de silence, de paroles enfouies, mais elle apprend tout doucement à parler.
A parler d’elle. Et elle voit qu’on l’écoute. Des gens sont faits pour cela, et le font avec tant d’amour qu’elle n’en revient pas encore.
Elle apprend aussi qu’elle peut être aimée telle qu’elle est.
Elle a beaucoup à apprendre……………………………..