Le silence n'est pas d'or.
Elle venait à peine de naître : sa mère sur son berceau, lui écrivait un poème pour lui dire combien elle était heureuse d’avoir enfin une amie à qui se confier.
La Terre n’avait pas fait un tour sur elle-même, que déjà elle avait une responsabilité à assumer.
Elle n’a pas vécu de vie de bébé d’amour, d’enfant d’amour.
C’était la « bonne » qui la faisait manger avec sa sœur, qui l’emmenait jouer dans un parc, qui veillait sur elle quand elle jouait dans le jardin.
Plus tard, encore bien petite, quand elle eut le droit de
manger à la table familiale, il ne fallait pas parler.
Elle apprit sans le vouloir à se taire, à taire ses émotions, voire même à ne pas en avoir.
Si elle en avait, aussi petite soit-elle, elle se retrouvait dans la baignoire, fermement tenue par sa mère, qui lui administrait sur la tête une douche froide.
Elle ne comprenait pas, cela lui semblait inéluctable.
La conséquence inévitable d’avoir rompu son silence et de s’être exprimée.
Et cette serviette posée à la hâte sur ses cheveux, puis le rituel prenait fin, et ses mots mouraient avec.
Les seuls moments durant lesquels les enfants mangeaient
avec les parents, c’était chez sa grand-mère maternelle, au sein de la
dynastie.
Elle ne pouvait même pas voir la table en entier, tant il y avait de grandes personnes et d’enfants.
Là non plus elle ne parlait pas.
Elle observait.
Elle se demandait comment ces adultes pouvaient manger en gardant leur serviette pliée, et la bouche immaculée.
Elle apprit seule, en se taisant, à se tenir comme eux.
Plus tard, au cours de ces mêmes repas, elle les observait
éplucher leur fruit avec un couteau et une fourchette.
Elle essaya, en silence, et y parvint.
Lors des promenades dominicales, elle cueillait des fleurs,
en s’éloignant du groupe. Elle ne s’en lassait pas, sans doute leur parlait
elle, là pas de douche froide à la clé.
Plus tard, sa famille déménagea à l’étranger.
Là, il y avait plusieurs domestiques, et l’une d’elles l’emmenait, elle et sa sœur à la plage.
Des heures durant, elle observait les grandes personnes nager. En silence.
Chaque mouvement était étudié.
Puis au fil des jours qui s’égrenaient, elle su se déplacer dans l’eau, la brasse n’avait plus de secret pour elle.
Des années plus tard, à l’âge de seize ans, sa mère partit
se reposer chez une amie, elle était la seule à savoir le lieu, et devait
garder le silence. C’était un secret, elle ne devait en parler à personne,
surtout pas à son père.
Garder le silence ne fut pas un problème, elle n’avait fait que ça depuis sa naissance.
Elle s’occupa de la maison, de ses frères, avec l’aide de la
domestique.
Parfois son père rentrait tard, et avouait son désarroi, elle ne savait que
penser, sa mère l’avait tant décrit comme un monstre, qu’elle resta
silencieuse.
Une fois de plus.
Une année s’écoula, elle demanda à sa mère qui jouait du
piano, de prendre des cours. La musique l’attirait.
Ce fut un refus, ce serait trop dur pour elle. Elle n’y parviendrait pas. Elle ne comprit pas que la musique s’entendait, et que c’était parce que sa mère ne voulait pas l’entendre.
Elle se mura une fois de plus dans son mutisme, elle ne pouvait pas encore comprendre que non seulement elle n’avait pas le droit de parler, mais qu’elle ne devait pas se réaliser.
Elle demanda à travailler en été, les relations de sa mère
lui permirent séance tenante d’avoir un emploi à la bibliothèque.
Dès son salaire reçu, elle alla s’acheter sa guitare, et apprit seule, des heures durant.
Cela ne plaisait pas à sa mère, la musique rompait le silence.
Elle écrivait les paroles de ses chansons, et lorsqu’elle
était invitée chez des amis, elle chantait.
Elle avait trouvé comment rompre son silence.
Elle a d’ailleurs chanté partout, des week ends durant, on la demandait pour des mariages, pour des soirées.
Elle avait rompu la chaîne, et commença à vivre, mais hors de chez elle.
La musique était son langage, cela venait du plus profond de son être, et on aimait l’écouter, l’enregistrer.
Et durant tout ce temps, elle devait écouter en silence les
confidences de sa mère.
La responsabilité endossée dès le premier jour de sa naissance, fut mise en pratique. Elle écoutait, et dans sa tête, beaucoup de choses s’y entassaient.
Ces confidences, elle les prenait comme telles, et respectait le silence que cela impliquait.
Mais elle comprit beaucoup de choses, dont certaines l’étaient et les autres, furent enfouies aux tréfonds de son être.
Un jour, en vacances, au bord de la mer, comme chaque année,
elle parla, ils étaient un groupe de jeunes, ils étaient entre eux.
Elle dit simplement : « Mes parents vont divorcer. »
Personne ne la crut, ses frères se sont écriés que c’était chose impossible.
Un an après ce fut chose faite.
Des décennies plus tard, elle a toujours du mal à rompre ce silence, à exprimer ce qu’elle ressent.
Elle commence seulement à comprendre.
Chaque instant de mutisme, est comme une pierre enterrée, il va lui falloir beaucoup d’énergie, pour les ressortir.
Pour ne plus se taire.
Elle en a envie, elle sait seulement maintenant que ce n’est pas une faute de parler.
Elle dédie cette note à FD, qui lui a montré qu’on pouvait déterrer des cailloux sans se salir les mains.