Encore des cailloux
Sa mère lui coupait toujours les cheveux très courts, comme ses frères, elle avait horreur de ça, elle se sentait mutilée. Elle ne s’opposait pas, mais un jour elle a demandé pourquoi ?
« Parce que ça va plus vite »
Forcément, sa mère n’allait pas passer du temps avec elle pour la rendre plus jolie.
Il lui fallut attendre l’âge de neuf ans pour avoir les
cheveux longs, sans doute ce séjour à l’étranger, où sa mère très occupée dans
les mondanités, avait autre chose à faire, qu’à les lui couper.
Par contre, si elle les laissait pendre, elle se prenait en plein visage une
réflexion très injonctive d’aller les attacher, et de se dégager le visage.
Encore maintenant, si le coiffeur se fait plaisir à disposer des mèches de façon artistique, elle ne peut supporter, et les met immédiatement en arrière.
Elle avait une très mauvaise vue. Un œil quasiment aveugle, et de la rééducation conseillée par le cousin de sa mère, médecin ophtalmologiste.
Elle était à l’étranger aussi à cette époque.
Cela consistait à lui mettre une énorme compresse sur l’œil droit pour faire travailler l’autre. Cette compresse était fixée par deux gros morceaux de sparadrap. Plus tard, elle su que c’était totalement inutile passé l’âge de 6 ans.
Une après midi, elle décida de traverser le boulevard, pour aller à la boulangerie d’en face s’acheter des bonbons.
Mais son œil la trahit, et elle calcula mal l’avancée de sa jambe droite.
Une voiture l’accrocha avec son pare choc.
Au même moment son père était en bas de la résidence, en train de signer les papiers de location d’une voiture.
Elle avança la jambe, et senti une brûlure.
Elle regarda et vit le trou béant. Elle se précipita sur le milieu du
boulevard, là où étaient garées d’autres voitures, et se mit à taper sur l’une
d’elles en hurlant de terreur.
Elle sentit des bras puissants la saisir, et se retrouva dans la voiture que son père était en train de louer.
Il fit prévenir sa femme, et partit séance tenante, avec elle dans les bras, se moquant éperdument du fait que les papiers n’étaient pas tous signés.
Le trajet lui parut très long. Elle ne pensa pas à elle,
mais se préoccupa de son père, et lui dit : « ça ne te fait pas trop
penser à la guerre ? » Il la serra plus fort.
Vint une ruelle trop étroite avec des
échafaudages. La voiture ne pouvait passer sans frotter, et être endommagée,
mais son père déterminé, donna l’ordre de continuer.
Elle se souviendra toute sa vie du bruit de tôles froissées, et de son père qui disait que ce n’était pas grave.
54 points de suture.
Sa mère vint plus tard, accompagnée de Madame l’épouse du Consul de France.
Il paraît qu’elle devait considérer ça comme un honneur.
Elle eut tout de même droit à des réflexions que c’était sa gourmandise la coupable.
Elle resta longtemps allongée, seule dans la chambre, avec pour seule compagnie l’électrophone de son frère, et ses livres.
Malgré tout elle garde un bon souvenir de ce séjour à l’étranger : son père ne travaillait pas loin, et elle avait un semblant de vie de famille.
Elle ne remit jamais cette énorme compresse sur son œil valide.
La cicatrice est toujours là, énorme, il manque un morceau, la peau touche l’os, comme pour lui dire qu’elle aura perdu à jamais une partie de son enfance.
De retour en France, son père décida de faire faire des gros travaux dans la maison.
Que chaque enfant ait sa chambre. Les combles furent aménagées pour les deux fils, et elle pu prendre l’ancienne chambre de son frère, celle qui contenait un cabinet de toilette.
Elle eut même le droit de choisir les tissus des rideaux et du couvre lit, la teinte de la toile de jute pour son mur. Et l’aménagement du cabinet de toilette, fermé avec du papier vichy bleu et blanc.
Elle avait enfin son domaine pour elle.
Mais cela n’empêcha pas sa mère à maintes reprises de vider le contenu de ses armoires par terre, pour l’obliger à ranger son placard.
Elle ressentait ça comme un viol.
Pendant ces travaux toute la famille habitat dans le secteur de la ville qui appartenait à ses grands parents maternels. Tout un pâté de maison, il y avait de la place pour chacun, elle avait sa chambre.
C’était la mode des premières bottes en cuir. Elle en
demanda, et se retrouva affublée des mêmes bottines en plastique que la femme
de ménage, tout le contraire de ce qu’elle voulait.
Le samedi suivant, son père l’emmena séance tenante avec sa sœur acheter une
paire de bottes. Elle eut exactement celles qu’elle voulait. Elle les regardait
des heures durant, et les mettait au pied de son lit pour les contempler.
Bien sûr sa mère hurla de rage en les voyant. Elle, elle savourait sa revanche.
Lasse d’être habillée par les restes de ses cousines, elle travailla, et mit toute sa paie dans des vêtements enfin à son goût. Il y eut aussi des hurlements mais elle n’en avait que faire. Elle avait pris l’habitude de se taire, et de laisser l’orage passer.
Plus tard, vinrent les révisions du bac. Comme ses frères,
elle prépara sérieusement, se levait tôt et travaillait tard.
Mais contrairement à eux, elle devait arrêter de réviser pour préparer à manger
et faire du ménage.
Sa mère persuadée qu’elle ne travaillait pas assez, l’envoya
chez sa tante pour qu’elle y révise.
Elle trouva cela profondément injuste, mais elle se trouva entourée de
tendresse.
Sa tante la coiffait, l’emmenait en courses, la présentait en disant pour la
revaloriser qu’elle était déjà admissible au bac.
Ce ne fut pas avec joie qu’elle retrouva le domicile familial.
Pour cet examen, ses frères avaient eu le permis et une voiture, elle eut un petit bracelet. Qu’elle haït aussitôt.
C’est ainsi que malgré elle, elle se construit, en pensant que c’est toujours seule, qu’elle arriverait à mener sa route, en étant persuadée, que jamais elle ne pourrait demander de l’aide à qui que ce soit.
En se taisant.